Regroupement familial : la minorité d’un enfant s’apprécie à la date de la demande d’entrée et de séjour

Civil - Personnes et famille/patrimoine
24/07/2020
Afin de déterminer si un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride non marié est un enfant mineur, au sens de la Directive n° 2003/86 relative au droit au regroupement familial, il faut se référer à la date à laquelle est présentée la demande d’entrée et de séjour aux fins du regroupement familial pour enfants mineurs.
 
Une ressortissante d’un pays tiers ayant obtenu le statut de réfugié en Belgique, sollicite en 2012, une autorisation de séjour au titre du regroupement familial pour trois de ses enfants mineurs, auprès de l’ambassade belge en Guinée. À la suite du rejet, elle réitère ses demandes pour de nouvelles autorisations identiques auprès de l’ambassade de Belgique à Dakar en 2013.
 
L’ensemble des demandes est rejeté par les autorités belges en 2014 au motif que les trois enfants auraient présenté de faux documents. Le 25 avril 2014, les requérants ont introduit des demandes en annulation contre les décisions de rejet devant le Conseil du contentieux des étrangers.
 
Le Conseil du contentieux des étrangers a déclaré leurs demandes irrecevables pour défaut d’intérêt à agir. Les intéressés étant devenu majeurs au cours de l’instance juridictionnelle, ils ne remplissaient plus les conditions pour bénéficier du regroupement familial, selon les dispositions de la loi belge.
 
Les requérants ont saisi le Conseil d’État belge contre ces décisions et soutiennent d’une part, qu’elles sont contraires au principe d’effectivité du droit de l’Union en les privant du droit au regroupement familial reconnu par la Directive n° 2003/86 et d’autre part, violent le droit à un recours effectif en les privant d’un recours contre les décisions de rejet les visant.
 
C’est dans ces conditions que le Conseil d’État décide de surseoir à statuer et saisit la CJUE de deux questions préjudicielles :
 
Afin de garantir le bénéfice du droit au regroupement familial, l’article 4 de la Directive n° 2003/86 doit-il être interprété en ce sens que l’enfant du regroupant peut bénéficier du droit au regroupement familial lorsqu’il devient majeur durant la procédure juridictionnelle contre la décision qui lui refuse ce droit et qui a été prise alors qu’il était encore mineur ?
 
« L’article 47 de la Charte et l’article 18 de la Directive n° 2003/86 doivent-ils être interprétés comme s’opposant à ce que le recours en annulation, formé contre le refus d’un droit au regroupement familial d’un enfant mineur, soit jugé irrecevable pour le motif que l’enfant est devenu majeur durant la procédure juridictionnelle, dès lors qu’il serait privé de la possibilité qu’il soit statué sur son recours contre cette décision et qu’il serait porté atteinte à son droit à un recours effectif ? » 
 
S’agissant de la première question, la CJUE rappelle que l’objectif poursuivi par la Directive n° 2003/86 est de favoriser le regroupement familial et notamment de protéger les mineurs, provenant de pays tiers. L’article 4 § 1 de la Directive ne précise pas le moment auquel il convient de se référer pour apprécier si l’enfant mineur a un âge inférieur à la majorité légale.  En revanche, la Haute juridiction européenne précise qu’« aucune marge de manœuvre ne saurait en revanche être accordée [aux États membres] quant à la fixation du moment auquel il convient de se référer pour apprécier l’âge du demandeur aux fins de l’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la Directive n° 2003/86 ».
 
Les États membres, souligne la Cour, sont tenus de respecter les droits fondamentaux garantis par le droit de l’Union, notamment le droit au respect de la vie privée visé par l’article 7 de la Charte, en combinaison avec l’article 24, § 2 de la Charte reconnaissant l’importance de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant. Ainsi, selon la CJUE, contreviendrait aux articles précités de la Charte et aux objectifs de la Directive, le fait de retenir la date à laquelle l’autorité compétente de l’État membre concerné statue sur la demande d’entrée et de séjour sur le territoire de cet État aux fins du regroupement familial, comme étant celle à laquelle il convient de se référer pour apprécier l’âge du demandeur. La Haute juridiction européenne s’appuie en ce sens, sur les conclusions de l’avocat général qui soulignait qu’une telle position n’inciterait pas les autorités compétentes à faire preuve de diligence en traitant prioritairement les demandes de mineurs dont la situation est vulnérable et pourrait aboutir à une mise en danger de leurs droits au titre du regroupement familial.
 
En l’espèce, la CJUE relève que la requérante a introduit ses demandes d’autorisation de séjour le 9 décembre 2013, qui ont été rejetées le 25 mars 2014. Le 25 avril 2014, la requérante a introduit les recours en annulation et « ce n’est que le 31 janvier 2018, soit trois ans et neuf mois après l’introduction des recours, que le Conseil du contentieux des étrangers a rejeté lesdits recours comme étant irrecevables pour défaut d’intérêt ». Si ces délais sont tout à fait habituels et non exceptionnels au regard de la réglementation belge, il n’en demeure pas moins que se référer à la date à laquelle l’administration compétente de l’État membre concerné statue sur la demande d’entrée et de séjour sur le territoire de cet État pourrait aboutir à une rupture d’égalité.
 
En effet, tous les demandeurs placés chronologiquement dans la même situation que la requérante, verraient le succès de leurs demandes dépendre « de la plus ou moins grande célérité avec laquelle » elles seraient traitées.  
 
En conséquence, la CJUE considère que « la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride non marié est un enfant mineur, au sens de cette disposition, est celle à laquelle est présentée la demande d’entrée et de séjour aux fins du regroupement familial pour enfants mineurs, et non celle à laquelle il est statué sur cette demande par les autorités compétentes de cet État membre, le cas échéant après un recours dirigé contre une décision de rejet d’une telle demande ».
 
Pour la seconde question, portant sur le fait de déterminer si le rejet du recours en annulation de la requérante en raison d’un défaut d’intérêt à agir, au motif que les enfants sont devenus majeurs en cours de procédure juridictionnelle, est contraire à l’article 18 de la Directive n° 2003/86.
 
La CJUE considère que le seul motif que l’enfant est devenu majeur en cours de procédure ne peut justifier l’irrecevabilité d’un recours contre le rejet d’une demande de regroupement familial. En ce sens, l’article 18 de la Directive, impose aux États membres de garantir aux demandeurs le droit de contester en justice une décision de rejet et d’assurer l’effectivité d’un recours en justice. Le droit effectif à un recours devant un tribunal étant par ailleurs consacré à l’article 47 de la Charte.
 
En outre, la CJUE précise que dans une affaire telle que celle en cause, il ne peut être exclu que le demandeur conserve toujours un intérêt à agir, même une fois devenu majeur. Si le requérant souhaite aller plus loin, en introduisant une demande de dommages et intérêts comme c’est envisagé dans certains États membres, il doit au préalable, avoir obtenu une décision sur le fond de sa demande de regroupement familial.
 
Dans ces conditions, la Cour de justice de l’Union européenne conclut que l’article 18 de la Directive n° 2003/86 en combinaison avec l’article 47 de la Charte, s’oppose à ce que le recours dirigé contre le rejet d’une demande de regroupement familial d’un enfant mineur soit rejeté comme étant irrecevable au seul motif que l’enfant est devenu majeur au cours de la procédure juridictionnelle.
 
 
Source : Actualités du droit